Cet article a été écrit dans le cadre de mes études à l'École Supérieure de Journalisme de Paris.
La consigne était de rédiger un papier pour le web sélectionnant 5 morceaux de musique liés par une thématique commune.
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« Il a tué ceux qu’il aimait pour les protéger »
Entre le 3 et le 6 avril 2011, cinq membres de la famille Dupont de Ligonnès — la mère, Agnès, et ses quatre enfants Arthur, Thomas, Anne et Benoît — sont assassinés. Le père de famille et principal suspect, Xavier Dupont de Ligonnès, reste introuvable depuis cette date. Dix ans plus tard, son ami d’enfance Bruno de Stabenrath publie un livre, « L’ami impossible », dans lequel il revient sur son amitié avec l’homme. Reportage lors d’une discussion libre avec les étudiants de l’ESJ.
Bam, bam, bam, bam, bam. Dans la grande salle de conférence, des rideaux de fer frappent régulièrement les vitres. Le vent qui s’est levé sur Paris ce mardi matin siffle dans les fenêtres mal verrouillées. Dans la salle, une voix s’entend pourtant clairement. Fière, sûre, elle débite lentement une histoire connue par tous les Français : celle de Xavier Dupont de Ligonnès.
Avec de nombreux détails, Bruno de Stabenrath expose l’intimité de son amitié avec le principal suspect de la « tuerie de Nantes ». Derrière une table pliante, l’auteur et acteur français se montre décontracté et élégant. Sa chemise en jean est accordée à son foulard et à ses lunettes, son bouc soigneusement taillé. Le fauteuil roulant, séquelle de son accident de voiture en 1996, ne le diminue pas.
Bam, bam, bam, bam, bam. Le vent ne se calme pas, les rideaux de fer font toujours vibrer les vitres. Sur la table, le dernier livre de Bruno : « L’ami impossible », publié chez Gallimard. « Un honneur » pour l’auteur. « L’ami impossible », c’est bien sûr Xavier. Bruno et lui sont touchés par un coup de foudre amical alors qu’ils fréquentent le même établissement scolaire. À 16 ans, ils partagent la même passions pour les États-Unis, Elvis, les Beach boys, les cabriolets et les jolies blondes en kilt écossais.
Xavier et Bruno sont des élèves atypiques parmi les spécimens de bonne famille qui les encerclaient au cours privé Saint-Exupéry (Versailles). Ils savent qu’il faut − au moins jusqu’au bac − jouer le jeu, rester dans la moyenne, contenter leurs parents, aller à la messe, fréquenter les rallyes et respecter un peu les demoiselles. « Un de nos professeurs de français débutait chaque cours par une maxime censée éduquer notre sens moral : « Habitue-toi à tout ce qui te décourage ». Xavier et moi avions soupiré. Ensemble. Qu’est ce qui pouvait nous décourager à seize ans quand on a la vie devant nous et toutes les filles du monde à conquérir ? »
Bam, bam, bam, bam, bam. « J’ignorais que Xavier avait deux vies dans sa jeunesse : sa vie d’ado normal, et celle dans la secte de Philadelphie, avoue Bruno de Stabenrath. Je savais que sa mère était une mystique, oui. Mais pourquoi pas, ça faisait parti de la foi. C’est plus tard que j’ai découvert l’extrémisme et la folie. » Le mouvement à caractère sectaire fondé sur l’Apocalypse créé par la mère de Xavier, Geneviève, est désormais dirigé par sa sœur, Christine.
« Pour moi, son ego est un des mobiles du crime, assène Bruno. Xavier a été élevé dans l’idée qu’il était un élu et le descendant d’une lignée qu’il a décidé de supprimer. » Cette chimère meurt en 1995 lorsque Xavier réalise que sa mère lui a menti. C’est une rupture avec une partie de sa famille. La seconde rupture (plus violente) serait expliquée par l’autre mobile : l’argent.
Bam, bam, bam, bam, bam. Lorsque Xavier Dupont de Ligonnès s’installe à Nantes avec sa femme Agnès et ses quatre enfants Arthur, Thomas, Anne et Benoît, il croule sous les dettes. « Malgré son intellect brillant, il avait des problèmes financiers et dans son couple, expose Bruno de Stabenrath. Sa femme avait beaucoup d’argent mais lui ne s’en sortait pas. » Les activités professionnelles de Xavier Dupont de Ligonnès sont très floues, mais il est défini comme « commercial », selon une source proche de l’enquête. Il a créé plusieurs petites structures, au succès limité.
« Si il avait réussi professionnellement, il n’aurait jamais tué sa famille, affirme son ami. C’est un crime altruiste : il a tué ceux qu’il aimait pour les protéger. » Mais pourquoi une décision si grave, si définitive, alors que le milieu dans lequel les de Ligonnès évoluaient aurait pu les aider ? « Je pense que cette époque Xavier était faible psychologiquement, explique Bruno. Il buvait beaucoup et prenait des médocs. »
Bam, bam, bam, bam, bam. Dix ans après les faits, Bruno de Stabenrath souhaite tourner la page. Il a suivi le précepte de son professeur de français, et s’est habitué à être découragé. « Je sais qu’on entendra encore parler, murmure-t-il. Soit il sera pris, soit… j’ai mon idée là dessus. Si il a accès à internet, il doit savoir qu’il est connu. Il doit se dire qu’il a bien baisé le système, ça doit satisfaire son ego. »
« Si il revenait vers moi je l’aiderai, je suis son ami avant tout, ajoute-t-il avec des tremblements dans la voix. J’aimerais comprendre. Le pire qu’il pourrait me répondre serait qu’il me dise que ce n’est pas lui. » La voix plus forte, il conclut : « Mais n’oubliez pas que c’est un mec qui s’est levé une nuit, qui a pris sa carabine et qui a tué toute sa famille : bam, bam, bam, bam, bam. »