Cet article a été écrit et édité dans le cadre de mes études à l'École Supérieure de Journalisme de Paris.
La consigne était de concevoir une nécrologie complète d'une personne encore vivante, en se basant sur la ligne éditoriale d'un magazine. J'ai choisi Jane Fonda et le magazine ELLE.
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Jane Fonda, l'émancipée
Après 90 ans de vie et 60 ans de carrière, l’actrice au charme irrésistible est décédée. Analyse de son parcours, de son style, et de l’un de ses films : Barbarella.
« Je suis la fille de mon père. » C’est par ces mots que Jane Fonda commence la première interview qu’elle a accordé à Elle. En 1965, elle décrit les difficultés de sa jeune carrière, son mariage avec Roger Vadim, sa maison en France. Plus d’un demi-siècle plus tard, quelle évolution : un retour aux États-Unis, deux Oscars, deux BAFTA, et trois époux.
La new-yorkaise considère être définie par les hommes de sa vie. Son père, d’abord : la légende Henry Fonda, pour qui elle a violenter son corps. Parce qu’il la trouvait trop grosse, elle prendra pendant plusieurs années des laxatifs, amphétamines et pilules coupe-faim, et alternera des périodes d’anorexie avec des crises de boulimie, avant de se tourner vers l’aérobic.
Lee Strasberg, ensuite. Après des débuts catastrophiques (selon l’actrice) à Broadway, Jane quitte en catastrophe Hollywood pour Paris, où elle prendra des cours de théâtre pendant deux ans. À son retour aux États-Unis en 1958, elle rencontre le comédien, qui change le cours de sa vie. Strasberg est la première personne qui affirme qu’elle a du talent. Un tournant dans sa vie.
Son premier mari, Roger Vadim, lui permet d’enchaîner les films puis les récompenses. L’École des jeunes mariés en 1962, Un dimanche à New York (1963), et surtout Barbarella en 1968 élèvent l’américaine au rang de star et de sex-symbol. Elle remporte deux Oscars pour Klute (1971) et Le Retour (1978). Celle qui se décrit comme « ayant été élevée pour plaire » est au sommet de sa carrière. Elle espère « devenir l’actrice la mieux payée du monde, et que grâce à ça, Vadim pour s’arrêter ».
En parallèle de sa carrière d’actrice, elle s’engage politiquement. Elle soutient le mouvement afro-américain des droits civiques et défend le leader des Black Panthers, Huey P. Newton. Elle alerte l’opinion publique sur la situation des Amérindiens, et lutte pour les droits des femmes.
Au début des années 1980, elle publie Jane Fonda’s Workout, légendaire vidéo d’aérobic. Les ventes atteignent 17 millions d’exemplaires, un succès justifié par le culte du corps des années 1980. Les bénéfices financent la carrière politique de son second époux, Tom Hayden. Jane Fonda réalise alors qu’elle est coincée dans une image qui n’est pas la sienne.
À 60 ans, la comédienne s’émancipe. Elle déclare : « Chaque ride de ma peau, chaque cicatrice de mon cœur est maintenant mienne. J’assume toute imperfection. » Elle apprend à refuser des rôles qui ne lui plaisent pas, et à ne plus « se laisser faire ». Elle se sépare de son compagnon Richard Perry en 2017, et choisit de vivre seule.
En 1965, elle décrit sa maison en France ainsi : « claire, solide, chaleureuse, avec partout des feux de bois, des pelouses de tapis et de grands espaces de silence ». Mais ce refuge ne lui ressemble alors pas. « Cette maison a de l’avance sur moi. D’une saison ? D’un film ? D’un enfant ? Je ne sais pas, mais maintenant je sais que je la rattraperai. » Elle y est parvenu.
Barbarella, reine de l'univers ?
Le Barbarella de 1968 reste aujourd’hui la seule adaptation sur grand écran de la bande-dessinée éponyme de Jean-Claude Forest. Le film est réalisé par Roger Vadim pendant les changements sociaux des années 1960. Parmi ces derniers, la fin du code de censure Hays, qui entraîne la réalisation des premiers films de cinéma d’exploitation : sans grande ambition artistique, mais avec une grande liberté de ton.
De ce contexte, Barbarella profite de la liberté de ton, ainsi que d’un budget conséquent : neuf millions de dollars. Une enveloppe à la mesure du projet : une des premières adaptations d’un personnage de SF, féminin qui plus est. Jane Fonda, alors épouse de Roger Vadim est choisie pour jouer l’héroïne de science-fiction.
À sa sortie, le film est critiqué : Barbarella n’est pas la femme forte et indépendante de la bande-dessinée. Au début de cette dernière, Barbarella est ingénue, mais elle finit par assumer pleinement sa sexualité pour devenir « reine de l’univers ». Dans le film, elle reste asservie aux hommes et ne fait preuve d’aucune initiative.
Mais si le personnage de Barbarella apparaît faible, les figures masculines ne sont pas en reste. Le « sauveur » Marc est incapable de réparer le vaisseau de l’héroïne, et sa principale activité consiste à combattre des enfants. Pygar ne peut plus voler, métaphore de son impuissance sexuelle. Le méchant Durand-Durand (qui a donné son nom au groupe) a besoin d’une machine (le fameux orgue-asme) pour donner du plaisir. Il se sent même menacé par l’appétit sexuel de Barbarella. Chacun représente une parodie de la figure du mâle dominant.
Ironie de l’histoire, la vie de Jane Fonda a été similaire avec le personnage de Barbarella, dans sa version bande-dessinée : d’abord définie par les hommes qui l’entoure, puis indépendante et assumée. Le film ne lui rend pas hommage…